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"Tôt ou tard le théâtre rencontre le texte" par Jean-Claude Lallias

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FORUM THEA GUINGAMP 2

Vous me permettrez de reprendre plus précisément les termes de la phrase qui est l’objet même de notre Forum. Dans l’expression que j’avais utilisée, « tôt ou tard » signifiait clairement que de toute façon en parlant de Théâtre à l’Ecole on ne POUVAIT pas évacuer la question du texte, Car s’il s’agit bien d’initier le plus tôt possible les enfants à l’Art du Théâtre, et quelle que soit la définition que l’on voudra donner du théâtre, il s’agira toujours de raconter le monde et de convoquer l’action de la parole dans un espace symbolique. La parole est contenue dans le mot théâtre lui-même, au point que si on veut s’en priver on parlera communément de « théâtre du silence », de « théâtre visuel » ou encore de mime ou mimodrame. Cela est une vielle histoire dans notre théâtre occidental, inventé en Grèce pour débattre avec les dieux et délibérer sur l’avenir de la Cité (voyez l’Orestie). Mais cela a toujours été une parole orchestrée (un texte - textile, tissus, organisé avec une trame et des motifs qui « tiennent » la parole), c’est-à-dire composée pour produire des effets calculés. Parole rythmée, parole scandée, chants dansés, tout cela pour produire des effets plus puissants que la parole ordinaire et banale. Une parole de création, qui fait accéder à un statut supérieur de la langue, consciente de son pouvoir incantatoire pour rendre visible des forces cachées et les révéler à la conscience de l’assemblée réunie là, pour « voir » et « entendre » les fracas du monde (theatron désigne le lieu adéquat pour cela). Aussi savons-nous depuis trois millénaires que le théâtre n’est pas un art d’illettré et qu’il n’est nul besoin de justifier ses liens avec les apprentissages les plus fondamentaux de l’Ecole.... Il les active, les entraîne et les justifie en permanence. Et en plus, il leur donne SENS ; en ouvrant les sens...

Par ailleurs, si j’ai utilisé le mot « rencontre » (le théâtre rencontre le texte), c’est que bien évidemment le théâtre n’est pas que texte et langue. Il n’est pas « récitation » figée. Le théâtre va vers le texte avec son propre arsenal non textuel : espace, corps, souffle, mouvements, images, sons, conscience du présent de l’assemblée. Il s’agit d’un rendez-vous, d’une jonction toujours vivante, avec choc, collision, échauffourée, inattendus comme dans toute rencontre amoureuse vivante, qui ont le sait est tout sauf ennui (Le Diable c’est l’ennui, dit justement Peter Brook...). Il faut que dans chaque moment de cette rencontre, il y ait une étincelle vibrante de vie et de joie à dire.

Or, ce qui s’est produit dans le théâtre jeune public, et qui est caractéristique du prodigieux renouvellement des écritures théâtrales tout court, c’est que l’écriture théâtrale aujourd’hui anticipe et appelle dans l’écriture cette rencontre avec les éléments scéniques. Il s’agit d’écritures qui ont du CORPS (comme dirait Jacques Lecoq), du mouvement, du souffle, de l’énergie, qui appellent l’oralité et l’espace imaginaire du jeu. Les textes sont espaces et souffle, rythmes et jeu, libérés de toutes conventions étroites et limitées, aussi bien thématiques que formelles. Libérés des conventions narratives d’un théâtre verbeux et faussement littéraire. Une théâtralité inscrite au cœur même de l’écriture, inséparable. Comme avec Molière, Shakespeare ou les lointains grecs d’Athènes.

Mais l’expression « tôt ou tard » interroge aussi le processus d’initiation : à quel moment fait-on rencontrer du texte aux enfants ? A quelle étape du processus d’initiation ?

D’où vient que nous ayons peur de cette rencontre des enfants avec le texte ? A quel moment met-on les élèves face à « du texte » de théâtre ? Et avec quels processus de découverte ?

Faisons quelques constats. 1. Nous commençons souvent par des jeux, des échauffements, des mises en relations dans l’espace, par de petites improvisations de situations parlées ou non. Tout cela avec le sentiment que TOUS LES ENFANTS - à quelque degré d’évolution dans la langue qu’ils soient - seront plus à l’aise, s’exprimeront plus facilement. Et surtout que ceux qui sont déjà en difficulté avec les textes (la lecture scolaire) se trouveront plus à l’aise, en tout cas moins sous le regard, dans la culpabilité d’avoir du mal. Au fond le théâtre se confondrait longtemps avec le jeu corporel seul, comme une commodité pédagogique. Avons-nous raison de procéder ainsi ? 2. Plus les enfants sont jeunes, donc dans des pratiques très fragiles et très mal assurées de la lecture (faire du sens avec des mots mal décodables et une syntaxe mal dominée), moins on les mettrait en difficulté avec de l’écrit, moins on les confronterait à du texte de théâtre. Ce sera pour plus tard...peut-être jamais. On les fera danser, on les fera mimer, on les fera improviser avec leur seul vocabulaire ordinaire. C’est déjà pas si mal si tous entrent effectivement dans le jeu. 3. Dans de nombreuses pratiques d’initiation (que je ne remets pas en cause ici, comprenez bien mes propos), il y a tout un avant sans rapport aux textes (de quelque nature que ce soit) puis plus tard quand le groupe est supposé plus prêt, on décide de jouer un texte. Et là, on retrouve toutes les difficultés d’un coup. C’est comme si introduire du texte dans le groupe ramenait les corps au figement, la parole à la mécanique inhabitée ou convenue...Retour à la case départ et finalement retour à une lecture scolaire non dépassée (avec toutes les culpabilités des « bons » et des « mauvais » en lecture, ceux qui pourront dire et ceux qui ne diront rien ou vraiment pas grand chose).

D’où vient que nous ne convoquions pas très tôt ce rapport à la langue de l’écrit la plus exigeante, grâce à l’initiation théâtrale ?

Et si précisément le fait même d’initier au processus théâtral créatif conduisait à inverser le processus ? Et si le texte était la source de tout ? Et si dans le « tôt ou tard » nous choisissions l’hypothèse du vraiment « tôt » ?

Car le texte de théâtre disions-nous contient l’espace, le rythme, l’adresse, la nécessité du jeu imaginaire, la nécessité de dire « vraiment » ce qui est dit à d’autres. Le travail ne doit-il donc pas tenter d’être beaucoup plus dialectique car le texte est d’emblée corps, adresse et jeu : c’est peut-être lui qui ouvre les possibilités de l’initiation la plus émancipatrice. Reste à tenter de savoir comment et ce qui sera remis en cause, ou du moins fortement interrogé.

Voyons ce que cela demande au pédagogue et à l’artiste, et qui se trouve déjà à l’œuvre dans nombre de pratiques d’initiation, telles que les classes THEA tentent de les expérimenter.

1. Le théâtre ne vient pas après la lecture, il est apprentissage d’une lecture particulière et sensible : exploration patiente et douce, attentive au son des mots, à leur chair, à leur corps poétique (cf. Jacques Lecoq). Les jeux collectifs peuvent être l’espace de ce partage physique d’une lecture charnelle et habitée. Cela commence par un simple mot, un fragment de phrase qui envahit l’espace commun. 2. Le texte convoque le corps entier dans l’espace. Posture du lecteur explorateur : chercher l’image et l’imaginaire des mots. Passer par tous les états et les émois de la voix : l’explorer (hauteur, vitesse, intensité, modifications multiples sous l’effet du corps et de ses états dans l’espace). Patient déploiement et patiente exploration de cet étonnant instrument sensible. Il n’y a pas lecture et joie de dire sans cette exploration partagée. 3. Le texte convoque l’espace et l’adresse. « Parle lui dans l’oreille, parle lui à distance, parle lui au-delà de tout obstacle... Invente des espaces physiques pour dire ce que tu as à dire ». Tout est dans le mouvement : lancer la parole et donc le texte. Faire des arts plastiques langagiers. 4. Le texte de théâtre s’explore par le chœur (la quantité peut être dosée, l’effort adapté bien sûr), il est partage dans le cercle de jeu. On invente avec les enfants des formes modestes, mais éminemment théâtrales par essence. L’essentiel est de s’assurer que ce qui est dit est « habité », nécessaire. 5. Le texte est répétition - variation, et c’est précisément la conquête progressive de l’aisance. Voilà pourquoi il faut du temps pour explorer et que ce temps-là ne doit peut-être pas être retardé. 6. En retour, ce qui est conquis dans cette initiation théâtrale fait gagner beaucoup pour la lecture scolaire tout court : une joie de lire et de dire apparaît qui dynamise d’autres lectures (on constate souvent ce « transfert », des élèves se mettent à lire par eux-mêmes et pour eux-mêmes, tant cette entrée dans une lecture non scolaire et proprement théâtrale leur ouvre des horizons personnels.) 7. Loin d’être, l’aboutissement, le texte est le commencement : de lui surgit la nécessité de l’espace, du jeu collectif, de l’organisation de la répartition de la parole, de l’adresse clairement consciente, de la force des mots et des images produites. 8. Loin d’être un obstacle, ne faut-il pas considérer le texte comme un tremplin ? Les difficultés à lire (l’acte de lire, de faire sens avec les mots) ne sont pas magiquement levées, mais la pratique du théâtre peut être un puissant facteur d’entraînement à aller au cœur de la lecture : c’est-à-dire de faire corps avec ce que l’on dit. 9. Ce travail théâtral des textes ne bride-t-il pas la liberté d’expression des enfants ? Et si la liberté était précisément cette conquête joyeuse et partagée dans l’espace, cette recherche de présence particulière dabs le rapport aux mots et aux autres, par delà les peurs et les inhibitions ? 10. Ce travail ne débouche-t-il pas sur de petites mises en forme d’essai, qui sont une forme première de théâtralité, à hauteur des enfants, dosée en fonction de leur parcours. Ces petites formes inventées tous ensemble, où chacun trouve sa place, soutenu par tous les autres ne sont-elles pas dans leur simplicité, les formes les plus émouvantes, celles qui ne cherchent pas à singer un théâtre adulte, mais la belle enfance du théâtre retrouvé ?

JEAN-CLAUDE LALLIAS

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