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"L’autre et l’ailleurs, le théâtre et l’altérité" par Jean-Claude Lallias

THEA Cahors 23 mai 2007.

[|THEA Cahors 23 mai 2007|]

L’Autre et l’Ailleurs [|   Le Théâtre et l’Altérité|]

Il m’a été suggéré, à l’occasion du travail qui s’effectue dans le réseau THEA, de réfléchir à ce que le théâtre apporte intrinsèquement à la question de l’altérité, comme facteur essentiel d’Education. Ce qui est le thème de ces journées nationales, ici dans le très beau Théâtre Dionysos de Cahors où les classes viennent présenter leurs explorations de l’Oeuvre de Philippe Dorin.

Dans la pratique d’initiation au théâtre, on peut interroger l’expérience d’apprentissage irréductible que fait un enfant, (qui soit en quelque sorte ce que SEUL le théâtre peut lui apporter et lui apprendre). Le Théâtre se constituant alors comme fondamental et indispensable, sans qu’il soit besoin de toujours vouloir le justifier et le faire servir à autre chose que lui-même. Comme la Littérature, la Poésie et l’Art, qu’il est tout à la fois, son seul objet - hautement éducatif - est l’élargissement de notre humaine présence au monde.

Et c’est probablement dans la rencontre de l’AUTRE, le personnage, à travers l’espace symbolique du JEU, et j’insiste dans la LANGUE AUTRE DU POETE ( Je veux dire « AUTRE » que celle du simple usage utilitaire), que s’opère d’indispensables apprentissages, que l’Ecole reconnaît aujourd’hui et auxquels il ne faudra jamais renoncer. Il y a en effet un double mouvement dans l’initiation au théâtre   Epouse et n’épouse pas ta maison. Feuillets d’Hypnos. René CHAR

Vous le voyez, le poète nous enjoint d’accepter un double mouvement de connaissance à travers cette image de la maison mentale : adhésion à soi, à sa maison mentale, à son caractère « reconnu », à ses convictions ou ses préférences, apprendre à se connaître et adhérer à ce que l’on est...Et en même temps le refus de l’exclusivité dangereuse d’un monde clos, replié sur soi, se défaire du lien asphyxiant de l’enfermement égocentrique et réducteur dans son petit monde à soi.

Dans l’initiation au théâtre, Il s’agit d’abord de partager des explorations communes, des émotions partagées (comme par exemple, retrouver tous ensemble la joie simple - universelle et poétique - de respirer devant l’infini de la mer...) Il s’agit de rechercher par l’imitation (mimer le monde) le fonds poétique commun (dont parle si bien Jacques Lecoq), cette part d’invisible en nous qui tient nos sens constamment en éveil : je suis même que les autres dans les émotions que procure la découverte des mouvements de l’arbre ou de la colère, cette RECONNAISSANCE DE SOI dans les autres est émerveillement : notre commune maison humaine, qui est apprentissage fondamental...

Dans le même mouvement d’initiation, l’enfant apprend aussi à aller vers ce qui n’est pas tout à fait lui (ou pas du tout lui), le personnage, cet « Autre ». A aller vers une part d’inconnu :   Comment vivre sans inconnu devant soi ?   Le poème pulvérisé.

Il faut à l’enfant se défaire de ses peurs éventuelles de la différence, de l’étranger, de l’inconnu. Epouser une « autre maison », l’éprouver et en sortir grandi, magnifié. Il y découvre par procuration des rôles sociaux, des postures, des façons de se conduire qui « élargissent » son entraînement à découvrir les infinis territoires humains.

Et ces Autres deviennent une part de lui-même, en quelque sorte « d’autres MOI » que le jeu permet d’explorer. Le Théâtre apprend à se défaire des rigidités mentales, à « prendre momentanément » la place de l’Autre, donc à se décentrer. A assouplir mentalement son rapport aux autres, donc à LES COMPRENDRE (au sens étymologique : les prendre avec soi, en soi). L’homme qui ne voit qu’une source, ne connaît qu’un orage.   Les chances en lui sont contrariées.   Lyre pour des monts alternés. Atelier du poète. Page 535.

Le déplacement mental du théâtre, appelle à rencontrer d’autres sources et donc d’autres orages... d’autres manières de voir dans le temps et dans l’espace (L’Autrefois, L’Ailleurs, que le Théâtre convoque et invite à rendre présents Ici et Maintenant).

Cette souplesse à reconnaître l’Autre en soi s’opère par un déplacement, un voyage dans la Langue. Car les mots que je prononce dans le jeu du théâtre - ceux du poète dramatique - sont à la fois des mots de ma langue (je crois les reconnaître) et en même temps ils sont quelque peu étrangers à mon usage ordinaire (je ne saurais les dire spontanément ainsi assemblés).

Et ces mots de l’AUTRE (ceux du personnage, ceux de la langue du poète) je dois les dire « COMME SI C’ETAIT MOI » (expression de Philippe Torreton, et titre de son livre où il révèle sa découverte du théâtre à l’Ecole). Ces « Autres MOI » dans la langue, inutile de dire qu’ils contribuent puissamment à mieux connaître et pratiquer une langue élargie, par une approche intime, ludique et sensible. Ce qui veut dire ni moins essentielle ni moins durable, car incarnée et intériorisée. Il y a trois mille ans que l’on sait que la pratique du Théâtre est le creuset d’une langue habitée !!!

A l’heure du formatage par les médias, du conditionnement à n’user que des automatismes d’une langue à la seule efficacité de surface, il est urgent - comme vous le faites cette année dans la traversée des œuvres de Philippe Dorin - que l’Ecole fasse place à l’imaginaire de la langue et à ses résistances au sens tout fabriqué. Qu’elle fasse ainsi confiance tout simplement à la naissance créative d’une langue symboliquement liée à un corps signifiant.   Redonnez leur ce qui n’est plus présent en eux   Recherche de la base et du sommet. Il faut donc sans cesse rendre présent dans les classes cette fragilité acceptée de la découverte des Autres et de soi par le Théâtre, c’est un objectif à lui seul suffisant.   Dans nos ténèbres il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté.   Feuillets d’Hypnos.

Et à chaque fois, dans chaque classe tout est à réinventer dans le présent entre élèves, artistes et enseignants, avec pour seule certitude de faire accéder à quelques parcelles de plénitude de soi dans la rencontre et la reconnaissance de l’Autre. Nous avons à tenter cela avec les élèves.

Mais vous le savez, dans l’Education artistique, jamais acquise, jamais assurée, toujours menacée de perdre son sens, nous devons accepter le paradoxe de cet aphorisme de René CHAR :   Notre héritage n’est précédé d’aucun testament.   Feuillets d’Hypnos.

C’est à dire que nous devons inlassablement réinventer le chemin d’une commune présence à soi et aux autres dans l’acte de parole.

Jean-Claude Lallias

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