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Mettre en scène Nathalie Papin

Mettre en scène Nathalie Papin

Tout metteur en scène le sait : il n’y a pas de texte de théâtre « facile à monter », chaque oeuvre recelant ses pièges sui generis. Mais avec Nathalie Papin, il s’agit d’autre chose. J’ai créé Mange-Moi en 2000, et Debout il y a quelques mois. Et chaque fois, a posteriori, je me dis qu’il faut être fou, inconscient, ou bien prétentieux -les trois à la fois sans doute...- pour l’avoir fait. Je ne connais pas d’auteur dont l’ « espace du dedans » soit aussi fort, et qui se préoccupe si peu de sa projection sur l’espace du plateau. C’est un compliment : la cohérence de son univers et de son écriture y perdrait probablement, si Nathalie commençait à se compromettre en se posant la question de la mise en scène ultérieure de ses pièces. Nathalie, d’ailleurs, ne se préoccupe pas davantage de l’âge pour lequel elle écrit. Elle écrit, c’est tout. Une écriture dense, serrée, jamais gratuite, jamais complaisante, et dont chaque mot est porteur de sens et d’enjeux. Ce dont on prend conscience, au sein de l’équipe de création, dès la première « mise en bouche », puis face au public,lors de la première transmission. Pour lancer les deux projets, Mange-Moi et Debout, nous avons commencé par la mise en place de nombreuses lectures publiques des deux pièces. Lectures en même temps que lesquelles se sont installés, tout à la fois, bonheur et anxiété. Bonheur évident à lire, dans le regard des auditeurs de tous ages, l’efficacité de l’écriture. Bonheur à voir l’imaginaire de l’œuvre faire mouche, et créer autant de nouveaux espaces imaginaires qu’il y avait d’auditeurs... Mais anxiété égale, à la pensée que toute mise en scène, quelle qu’elle puisse être, ne pourrait, au bout du compte, que (au mieux !) réduire, racornir, borner, brider ces espaces, et au pire, les écraser sous le poids des propositions et des « idées ». Être, dans tous les cas, en deçà d’une belle lecture, dont le seul objectif était de faire sonner les mots et de faire entendre les situations. Bref, décevoir... Et pourtant, il n’était pas question d’en rester à ce stade. Même si Nathalie ne « pense pas plateau », ses pièces sont du vrai théâtre, fait pour la représentation. Fondamentalement, du théâtre, entièrement construit autour de rencontres, et des effets de ces rencontres sur leurs protagonistes. Mais du théâtre en mouvement, en constante évolution visuelle, proche d’un dessin animé ou d’une bande dessinée (Je me souviens, pour Mange-Moi, de mes premières associations : images tirées de livres de Claude Ponti, et du Yellow Submarine, le dessin animé des Beatles...) : il est facile de monter séparément chaque scène des pièces de Nathalie ; les difficultés naissent dès lors qu’on tente de les relier les unes aux autres ; elles naissent des passages d’une scène à l’autre, d’un monde à l’autre - tout particulièrement du passage qui s’opère du monde très concret et rude des débuts (cour d’école, cimetière...) à celui qui ouvre sur la quête initiatique et le voyage fantastique (polymorphe : univers de l’ogre dans Mange-Moi, tombe des mères dans Debout, voyage à l’intérieur de soi , dans Camino...). Elles naissent aussi des problèmes que posent les apparitions et les disparitions, plus proches du fondu enchaîné que du montage, des personnages successifs,... Les regards émus -et récurrents- de nos auditeurs nous avaient au moins convaincus d’une chose : de ce qu’il ne fallait pas faire. La richesse des propositions contenues dans le théâtre de Nathalie, texte, images et didascalies, est un piège dans lequel il faut se garder de tomber. Oui, son univers est de l’ordre du baroque. Mais on sait bien que, cachée sous le baroque continue toujours de serpenter la ligne de force, la cohérence profonde d’une oeuvre. Et c’est cela qu’il fallait essayer de trouver, et de transmettre. Ne pas encombrer la scène d’objets hétéroclites -combien d’ « idées » bien tentantes, de costumes et d’accessoires séduisants n’avons-nous pas rejetés...après, parfois, les avoir fabriqués... !-, éviter de fermer l’imaginaire des spectateurs, laisser respirer l’espace, lui garder son ouverture maximale. Tenir la ligne...

Sauf à disposer de moyens techniques considérables (Ô trappes ! Ô plateaux tournants !...), ou à avoir recours aux techniques de la vidéo -ce qui n’aurait rien de répréhensible, mais ce n’était pas notre option : nous avions envie de nous « cogner » aux textes de Nathalie avec les seuls moyens du théâtre..-, il faut savoir que mettre en scène ses pièces est , en soi, un voyage, au cours duquel on aura d’abord épuisé les champs du possible, du rêvé et de l’impossible, et qui s’ouvrira finalement sur l’expérience du renoncement. Un renoncement radical et un choix radical. Et avant tout, dans celui, décisif, de la scénographie. La richesse de l’univers de Nathalie permet sans aucun doute de très nombreuses approches scéniques. Pour preuve,les débats qui se sont déroulés au sein de l’équipe de création. Pour tout nouveau projet, j’aime réunir longtemps en amont le/la scénographe, la costumière et le créateur lumière, mes compagnons de route, pour construire ensemble un récit commun, et pour que chacun y trouve, en chemin, son compte personnel. Avouons- le : aucun autre de mes projets n’aura nécessité autant de temps, de réunions, de propositions différentes, toutes séduisantes, de croquis, de fausses pistes -fausses, d’ailleurs, pas forcément : laissées sur le bord de la route...- qu’en auront exigés Mange-Moi et Debout. Dans les deux cas, le chemin a mené de l’empilement à l’épure. (Encore une fois, c’est un chemin assez commun ; il est seulement particulièrement éclatant, riche, et parfois violent, quand on se confronte à une pièce de Nathalie : foisonnement de l’écriture et des images qui déclenche, dans les débuts, une multiplicité de projections personnelles (Debout, plus encore que Mange-Moi : personne n’aborde impunément l’univers de la mère...), puis « travail de deuil », pas toujours serein mais nécessaire et libérateur. Plus encore : magique. Curieusement, en effet, une fois arrêtés les choix de l’espace, une fois construits les éléments scéniques (construction, dans le cas de Mange-Moi et de Debout, préliminaire à toute répétition), tout, ensuite, dans le travail de plateau paraît aller de soi, couler de source, tout semble facile...Désormais devant nous, ne subsiste que le bonheur, bonheur de voir se construire les scènes comme autant de moments de jeux de théâtre, bonheur de voir émerger des personnages rendus immédiatement crédibles, vivants , par la grâce et la justesse de quelques répliques, bonheur de voir se matérialiser sur le théâtre un univers poétique fort et cohérent -qu’il ne faut évidemment jamais « jouer poétique »...

Au bout du chemin -pour laisser le champ libre aux mises en scènes à venir, et avec le léger sentiment personnel d’inaccompli, ou la frustration que je peux personnellement éprouver devant tel ou tel moment de la représentation, dans la mesure où j’ai conscience qu’il est loin d’épuiser tous les possibles du texte - ...je crois pouvoir au moins affirmer que, pour rendre compte de la vie de son univers, toujours en mouvement, fait de surprises et de rencontres, toute approche d’une oeuvre de Nathalie exige, quels que soient les choix du scénographe et du metteur en scène, trois données incontournables : elle doit être légère, elle doit suggérer, elle doit être elle-même toute souplesse, tout mouvement... Le reste est affaire d’univers personnel....

Dominique Lurcel, 12 mai 08

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